Sur fond de hausse de l’emploi qualifié, les classes moyennes continuent à progresser en France. Elles représentent désormais environ 40 % des emplois, selon les estimations du Centre d’observation de la société.
Le sort des classes moyennes est un classique du débat de la société française. Après avoir célébré leur avènement dans les années 1980 [1], on a annoncé leur disparition sous l’effet de ce que l’on nomme la « polarisation des emplois » [2], c’est-à-dire le développement à la fois de postes très peu qualifiés et très qualifiés. Une exagération chasse l’autre.
Il n’existe aucune définition officielle des classes moyennes. L’Insee, par exemple, n’utilise pas un découpage en trois grandes classes, populaires, moyennes et aisées. Les travaux sur le sujet s’appuient le plus souvent sur les revenus et très rarement sur les professions. Pourtant, celles-ci permettent une approche plus complète du milieu social, en prenant en compte la position dans la hiérarchie sociale.
Pour combler ce manque, nous proposons une estimation réalisée à partir des catégories socioprofessionnelles de l’Insee. Les classes moyennes, composées des emplois situés entre ceux qui exécutent et ceux qui décident, comprennent l’intégralité des professions intermédiaires (les anciens « cadres moyens »), une partie des ouvriers et des employés, une partie des cadres et des non-salariés. Nous avons déterminé des coefficients : par exemple, nous avons estimé que 20 % des cadres supérieurs appartiennent aux classes moyennes (voir encadré). Cette construction est arbitraire et critiquable [3], mais elle a le mérite de donner des ordres de grandeur et de débattre à partir d’éléments tangibles.
Selon nos calculs, la part des classes aisées – principalement des cadres supérieurs – a doublé, de 9 % à 19 % entre 1982 et 2021. En dépit du ralentissement de la croissance au milieu des années 1970 et des crises économiques à répétition, l’économie française a continué à créer des emplois, souvent qualifiés.
Le cœur des classes moyennes est composé des professions intermédiaires. Entre 1982 et 2021, leur part s’est, elle aussi, accrue de 19 % à 25 % des emplois. Si l’on y ajoute une fraction des ouvriers, des employés, ainsi que des cadres supérieurs, nos estimations aboutissent à une progression de l’ensemble des classes moyennes de 39 % à 42 % des emplois en trente ans. Depuis 2014, leur proportion a même dépassé celle des catégories populaires – surtout des employés et des ouvriers –. Il n’y a donc ni moyennisation généralisée de la population, ni déclin des classes moyennes.
Cette évolution est cohérente avec les observations de l’OCDE qui estime que la part des classes moyennes, définies sur la base des revenus, a augmenté en France entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2010, contrairement ce qui se passe dans d’autres pays [4]. Par ailleurs, la part des classes populaires a diminué assez nettement, de 49 % à 38,5 %. Un phénomène lié au déclin de l’emploi industriel et, dans les années récentes, de celui des employés, fortement touchés par la progression du chômage dans les années qui ont suivi la crise financière de 2008.
La part des classes moyennes progresse modestement, au fil de l’élévation globale de la qualification des emplois. Mais cette expansion quantitative est marquée par des fragilités. Les classes moyennes ne sont pas « étranglées », mais voient leurs revenus stagner depuis 2008. Dans l’emploi, la crainte du chômage reste vive pour les salariés du privé. Les classes moyennes sont aussi touchées par la hausse du prix des logements et profitent beaucoup moins du système scolaire que les cadres supérieurs.
Il n’y a ni moyennisation généralisée de la population, ni déclin des classes moyennes
L’évolution actuelle est-elle destinée à durer ? Pas forcément. La baisse de l’emploi qualifié des employés et des ouvriers, dont la partie supérieure appartient à l’univers des classes moyennes, joue en sens inverse. Depuis presque dix ans, la part des professions intermédiaires n’augmente plus. Beaucoup dépendra du type d’emplois créés dans les années qui viennent. Pour l’heure, nous n’assistons pas à un phénomène de polarisation sociale, mais rien ne dit que nous pourrons l’éviter demain.
Centre d’observation de la société
Source : calculs de l'Observatoire des inégalités d'après l'Insee – Données 2020 - © Observatoire des inégalités
Mesurer la part des classes moyennes dans la société : la méthode du Centre d’observation de la société | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Pour calculer la répartition des professions en catégories « populaires », « moyennes » et « aisées », nous appliquons à chaque catégorie socioprofessionnelle des coefficients de répartition (voir notre tableau ci-dessous). Nous considérons que les classes moyennes englobent l’ensemble des professions intermédiaires, la moitié des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, ainsi qu’un cinquième des cadres supérieurs, des ouvriers et des employés. Les classes populaires regroupent 80 % des employés et des ouvriers et 30 % des indépendants (agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise). Les classes supérieures rassemblent le reste : 80 % des cadres supérieurs et 20 % des indépendants. Ce découpage est discutable. Une partie des professions intermédiaires (notamment chez les jeunes ou les personnes en emploi précaire) est sans doute plus proche des catégories populaires que des classes moyennes dont il faudrait les extraire. On pourrait inversement inclure une part plus importante d’ouvriers et d’employés au sein des classes moyennes. Pour aller plus loin, il faudrait notamment utiliser le critère du statut d’emploi (privé ou public), devenu très discriminant avec le chômage de masse.
Lecture : 80 % des cadres supérieurs font partie des catégories socioprofessionnelles supérieures. Source : calculs du Centre d'observation de la société d'après l'Insee - © Observatoire des inégalités |
Extrait de « Des classes moyennes toujours en progression », Centre d’observation de la société, 27 mars 2023.
Photo / © National Cancer Institute - Unsplash
[1] Voir La seconde révolution française, Henri Mendras, Gallimard, 1988.
[2] Voir la définition de « polarisation des emplois » sur le site du Centre d’observation de la société.
[3] Par exemple, on pourrait estimer avec raison qu’il faudrait faire évoluer ces pourcentages dans le temps.
[4] Voir Sous pression : la classe moyenne en perte de vitesse, OCDE, Juin 2019.